La découpe des hôtels d'Entragues 1774-1778
La découpe des hôtels d'Entragues – 1774 ―1778; 10 bis, 12, 14, rue de Tournon, 11 rue Garancière avec une note sur le 20 rue de Tournon.
Auteur: Jean Hesbert
Editions Guénégaud. 2012. ISBN 978-2-85023-153-3 – 448 pages – 24 €.
Les immeubles du 12 et 14, rue de Tournon sont édifiés entre les années 1775 et 1778 par deux experts-jurés entrepreneurs : Michel Neveu et René-Auguste Simon. La spéculation immobilière bat son plein dans le faubourg Saint-Germain et dans une moindre mesure au sein du quartier du Luxembourg. L’hôtel de Condé doit être vendu pour y édifier la Comédie-Française et lotir le restant des terrains. Tous deux rachètent simultanément l’un des plus prestigieux hôtels garnis à Paris de l’époque qui forment un tout : le Grand et le Petit-hôtel d’Entragues, demeures vieillissantes dont la veuve Bergoignion qui en a conduit la destinée veut se séparer. C’est un ancien hôtel particulier avec dépendances construit à la fin du XVIe siècle par la famille d’Ebène venant d’Italie dont l’une des descendantes a épousé Léon Balzac d’Illiers d’Entragues.
Après leur destruction, au moins trois édifices indépendants sont construits, dont l’un va demeurer pendant plus d’un siècle le plus élevé de la rue. Celui de Michel Neveu, le plus grand, n’occupe plus la totalité de la surface de l’ancien terrain du Grand-hôtel d’Entragues, car une grande partie au nord est acquise par un voisin, le duc de Nivernais, qui édifie les bâtiments du 10 bis, rue de Tournon et ceux du 11, rue Garancière : le Petit-hôtel de Nivernais. Les deux experts les destinent à l’habitation locative, non plus sous forme d’hôtel garni comme précédemment, mais comme appartements.
C’est un échec financier cuisant pour Michel Neveu. Il a voulu mener cette opération seul, sans l’appui d’un financier, d’un aristocrate aisé, d’un fermier-général ou d’un ministre. René-Auguste Simon pour sa part s’en tire fort bien et peut transmettre ce bien à ses enfants. Neuf ans après l’achèvement des travaux, Michel Neveu est au pied du mur. Il est poursuivi par ses créanciers. Ses calculs étaient erronés : les loyers ne sont pas rentrés comme prévu et le budget des dépenses a été dépassé. Peu avant son décès il brade sa Grande maison à Jean-Baptiste Lesage un nouveau riche ayant fait fortune dans le commerce de draps par des spéculations heureuses. Les Lesage la conserveront jusqu’au début de la Seconde Restauration. Ils la cèdent à Madeleine Masseron épouse séparée de biens du vicomte d’Houdetot, pair de France, petit-fils de Sophie-Elizabeth La Live de Bellegarde.
La conservation des originaux des baux, la consultation des données d’annuaires et des sources biographiques permettent d’identifier ceux qui s’y sont succédé pour y habiter : un pair de France, un futur Président de la République, des astronomes, mathématiciens, des membres du Conseil d’Etat, des avocats, des médecins… Il est ainsi possible de suivre les occupants de pratiquement chaque appartement du moment où les premiers y sont entrés jusqu’à ce jour. Ainsi l’histoire des hôtels d’Entragues, ouvre la voie à une intéressante analyse sociologique du quartier du Luxembourg et de l’habitat parisien de la fin du XVIIIe jusqu’au XXe siècle.
La structure des deux immeubles est l’expression d’un beau mode de construction de style Louis XVI, dont la qualité n’est pas toujours la meilleure. Leur confort devient obsolète un demi-siècle plus tard. De ce fait, le plus grand des deux subit de profondes transformations pour le mettre au niveau des nouvelles normes de commodité.
Les historiens d’art revisitent la Grande-maison de Michel Neveu dans les années 70. Ils la placent sous les feux de la rampe. L’hyperbole s’avère insuffisante. Le procédé est même utilisé pour décrire avec émotion ses parties secondaires. Le conflit entre ceux qui y vivent et le ministère de la Culture qui veut le transformer en sanctuaire ne tarde pas à éclater. Le ministère pèse de tout son poids. Le grand immeuble celui du 12, rue de Tournon partiellement classé ISMH en 1926, le devient dans sa presque totalité à compter de 1993 dans une profonde contradiction avec le précédent arrêté. Le lecteur découvrira le mode très particulier de la prise de décision du COREPHAE pour faire prononcer par arrêté du préfet de région ce second classement.
The two buildings located at 12 and 14 rue de Tournon were erected between 1775 and 1778 by two sworn surveyors masons: Michel Neveu and René-Auguste Simon. Real estate speculation was at its height in the faubourg Saint-Germain and to a lesser extent in the Luxembourg district. The Duke of Condé’s palace was to be sold to build the new premises of the Comédie Française and the remaining parts set aside for housing. At the same time, both men purchased the former leading hotel which consisted of two parts: the Grand and the Petit hôtels d’Entragues. The buildings were dilapidated and the widow Bergoignon wanted to get rid of them. These premises were formerly a private hotel built at the end of the sixteenth century by the Ebène family, who were from Italy, and were later assigned to one of their female descendants who married Léon Balzac d’Illiers d’Entragues.
After the purchasers pulled down the former buildings, three new ones were erected. One of them remained for decades the highest in the street. Michel Neveu’s, the tallest, did not cover all the ground occupied by the Grand-hôtel d’Entragues, because the northern part of it was bought by a neighbour: the Duke of Nivernais, who started building the 10 bis rue de Tournon and the 11 rue Garancière : the Petit-hôtel de Nivernais. The two surveyors converted these new houses into apartments for renting to individuals or their families, so they were not mansions as before.
The outcome was a blatant failure for Michel Neveu. He was sanctioned for having carried out this operation alone, without the help of a financier, of a wealthy aristocrat, of a royal tax collector or a minister. René-Auguste Simon however handled his investment very well and was even able to transmit his estate to his children. Nine years after the completion of works, Michel Neveu was on the verge of bankruptcy. He was sued by his creditors. His calculations were wrong: rents did not accumulate as had been forecast and his expenses skyrocketed. Just before he died he undersold his big house to Jean-Baptiste Lesage, a nouveau riche draper who had been successful thanks to clever speculation. The Lesage family owned the house until the beginning of the Second Restoration when they assigned it to Madeleine Masseron, married out of community to Viscount d’Houdetot, peer of France, grandson of Sophie-Elizabeth La Live de Bellegarde.
Thanks to notary archives, data contained in diaries and biographies, it has been possible to track down the name of the lessees of the apartments: a peer of France, a future Président de la République, astronomers, mathematicians, members of Council of State, lawyers, physicians… right from the day the first lessee rented it until the present day. The history of the d’Entragues houses provides an interesting sociological analysis of the Luxemburg quarter and of Parisian housing conditions from the end of the eighteenth to the twentieth century.
The structure of these two buildings show the fine construction of the Louis XVI style. However the quality of materials used were not always the best. Comfort requirements made them obsolete half a century later. Consequently the larger building underwent radical transformation to enable it to meet new norms of living.
Art Historians revisited the history of Michel Neveu’s big house in the 70’s. They significantly raised the building's profile. Exaggerated statements were quite insufficient to describe it. They used superlatives to make descriptions of even second quality parts of it. A conflict broke out between those who lived there and the Ministry of Culture, who wished to make it a sanctuary. The Ministry was more powerful. The large building, 12 rue de Tournon, that was placed under a partial National heritage protection in 1926, had its protection extended in 1993 to practically all the remaining parts of it, in total contradiction of the first decree. Readers may be interested to discover how such a process was effected by the body in charge of it, the COREPHAE, which lead the Prefect to issue a second decree.